Le tout sécuritaire, la voile aussi!

Publié le par Fab

«Tu n’as pas de radar et pas d'AIS ?»
« C’est pas la même chose, un double emploi ? De toutes façon, je n'ai ni l'un ni l'autre.»
Là, le type lève les yeux au ciel, me gratifie d’un sourire condescendant qui sous entend, «pauvre con, on n’est vraiment pas du même monde !» et entame un monologue technique sur les spécificités des appareils de détection modernes ; j’en retiens qu’un radar détecte les autres bateaux, et un AIS détecte les autres bateaux équipé du même appareil. Devant mon air peut convaincu, il étale la liste de l’équipement indispensable à une traversée océanique en toute sécurité, la perche IOR, les trois GPS, les quatre pilotes automatiques, le radar, l’AIS, le traceur de routes, les logiciels de navigation, l’iridium, les balises Argos sur chaque veste de quart, plus une sur le bateau, une BLU émettrice-réceptrice, la crème solaire à réaction photoélectrique, le chapeau à géométrie variable, un paratonnerre portatif adaptable autant sur le mât que sur le parapluie ou sur ce casque à pointe si utile en cas d’attaque subite de goélands…


En feuilletant un magazine de voile abandonné par un skipper soucieux d’alléger sa monture pour améliorer la sacrosainte moyenne, je tombe sur une jolie femme tout sourire glacé sur papier, lunettes de star et maillot échancré tenant la barre d’un cruiser flambant neuf, vantant les qualités d’une survie dernière génération. Le slogan menaçant « certaines économies peuvent coûter cher ! » me met en garde. Ces revues en regorgent, une page sur deux m’explique que sans le dernier né de telle ou telle gamme installé sur mon voilier, je courre à la catastrophe. Le tout sécuritaire a envahi les pontons, les propriétaires de bateaux ornent leurs portiques déjà surchargés de capteurs, antennes, réflecteurs, radomes et perches diverses.


Les discussions avec mes éphémères collègues de quai me donnent l’impression étrange d’être assis à la terrasse d’un café jouxtant un quartier de banlieue en période préélectorale. Je réalise que lorsque mon petit neveu ou nièce (qui va naître en septembre ! Ah bon, je vous l’avais déjà dit ?) sera en âge d’expliquer à ses parents qu’il abandonne ses études de médecine, se casse sur le voilier qu’il a acheté en tapant le fric de ses grand-mères et vendant du haschisch aux mômes de la crèche du quartier, rejoindre tonton Fab de l’autre coté de la planète, la porte blindée sera devenue équipement de série sur les bateaux , le capteur de mouvement relié par satellite à un système de désintégration à distance des corps intrus une option obligatoire en catégorie hauturière. Je quitte Jacaré et sa marina sans regrets, si ce n’est celui d’avoir cédé aux appels des sirènes du confort, douches, électricité et piscine, pour rejoindre un mouillage tranquille, loin d’une foule aveuglée par la fausse sécurité d’une électronique qui les épargnera à coup sûr de tout coup dur.



Je gagne Recife, jette l’ancre dans un avant port crasseux, pleins des bruits de la ville proche, et m’immerge dans le grand bain bouillonnant de la vie sud américaine. Pour simplifier, les brésiliens et les brésiliennes aiment le soleil, la bière et le sexe. Mon temps d’adaptation aux mœurs de ce pays enchanteur fût des plus courts.









Il est étonnant de constater l’euphorie permanente qui semble gérer la vie des habitants de ce pays, pourtant bien touché par la misère. Les disparités sociales sont abyssales, la corruption sport national au même rang que le football, et même le président Lula, élu en 2002 puis en 2006, n’échappe pas à cette gangrène. Tous les espoirs étaient pourtant permis lors de son accès au pouvoir, ancien cireur de chaussures, ouvrier dans la métallurgie, issu des quartier pauvres, syndicaliste engagé, il se devait proche du peuple après des année de dictature militaire puis de pillage en règle des richesses naturelles par les élites au commandes du pays. Dés ses premiers mois de règne un scandale de détournements de fonds, destinés à des programmes de nutritions dans les favelas, orchestré par son bras droit, éclate. Il s’en sortira en congédiant ce dernier et prétextant n’avoir été au courant de rien. Le pouvoir corrompt décidément les plus purs.

Recife est un enchevêtrement d’îles urbanisées à outrance, et au beau milieu de ce chaos bétonné siège un étonnant anachronisme, Olinda. Ce village dans la ville construit par les portugais au XVI éme siècle conserve son charme d’antan, en fermant les yeux dans les rues pavées on perçoit le martèlement des sabots des chevaux tirants les chariots, des saignées noires trahissent l’âge des édifices blanchis par le temps et le soleil, les façades colorées qui s’étiolent masquent partiellement les solides murs de pierre lézardés de toutes part. La nature est omniprésente, la hauteur des manguiers centenaires et des fins cocotiers rivalise avec celle des grattes ciels bien visible en arrière plan. J’apprécie ce voyage dans le temps, mais je dois rejoindre Bahia au plus vite, Louis, copain d’un copain, arrive dans la ville de tous les saints cette fin de semaine apportant dans ses valises deux bas haubans neufs qui me permettrons de continuer plus sereinement ma descente vers le sud.

Un crochet tout de même dans une baie bordée de plages blanches, Suape, l’occasion de renouer avec la vie comme je la conçois sur un voilier, pêche au harpon, ballades dans les collines, sieste dans le hamac à l’ombre des palmiers. L’entrée est difficile, il faut longer un récif à fleur d’eau dans un étroit passage, mais la récompense à ces quelques sueurs froides est grande. Ancienne place forte protégeant l’accès à deux bras de rivière qui s’enfoncent dans les terres intérieurs du pays, la promenade entres les ruines des fortins mène à un ancien phare dominant la baie et le large, puis à un village abandonné, Vila de Nazaré, en phase de réhabilitation et restauration, au sommet de la colline. L’ombre des manguiers géants chargés de fruits murs et gorgés de soleil permet une halte loin de la plage grouillante de vie le week-end. Sucer des mangues juteuses en arpentant les sentiers de terres séparant les bâtisses, écouter les sons de la forêt proche, observer les singes bondir d’arbre en arbre, suivre du regard les cercles majestueux des aigles en chasse, avant d’aller boire une bière bien fraîche sur la plage au milieu des cris d’enfants, des rires des coquettes brésiliennes aguicheuses, des pêcheurs déjà saouls regagnant leur barques en titubant, la vie quoi.... Je conclue cette journée en allant chasser sur le récif avec trois locaux qui m’offrent une place dans leur lancha. Mais demain il faut partir, nord-est annoncé, une aubaine. Trois jours d’une navigation idéale pour arriver à Salvador de Bahia.
De copains de bateaux en copains de rencontre j’attends dans une partie excentrée de la ville d’aller à la rencontre de Louis dimanche récupérer son précieux colis. La saison hivernale avance à grand pas, et il reste beaucoup de chemin avant la capitale argentine.
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T
Après la Grèce c'est la Turquie, et ensuite...? en fait on a prolongé notre année sabbatique de 6 mois donc on rentre qu'en novembre!(peut-être).<br /> Et qui sait, on se recroisera peut être sur le tdm si on oublie de tourner à droite en rentrant.
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A
T'as raison, on pensait justement installer des capteurs de marche arrière...mais ça risque de consommer notre énergie utile aux glaçon!
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