Retour au monde salé

Publié le par Fab

J’imagine les petits doigts boudinés courant frénétiquement sur le clavier, les fronts plissés perlés de sueurs, les mâchoires inférieures tremblantes, les gestes devenus incontrôlables et saccadés, tous ces signes qui trahissent l’impatience d’un lecteur avide et dépendant d’articles frais sur son blog préféré.



Un long silence justifié par une escapade dans une de ces boîtes métalliques qui défient quotidiennement les lois de la gravité universelle, et qui a avalé en 11 heures les 9500 miles parcourus, parfois difficilement, en 18 mois par mon fier « Chionis ».

Pour les rares d’entre vous qui ne regardent pas la télévision, n’écoutent pas la radio et ne lisent pas les journaux, je précise que ma petite nièce Lola est née le 7 septembre dernier.



Rassurez vous je récupère doucement, j’ai vécu l’épreuve courageusement et bien qu’un peu surmené la semaine suivant la naissance, je suis aujourd’hui en pleine forme.
A part ça, les parents vont bien.
Mignonne hein, et en plus elle me bade, si, si, très sérieusement, elle se marre quand je l’approche et me pisse dessus quand j’essaie de la changer, si c’est pas des signes ça !

Ces 18 mois de ballade, dont un loin de mon beau bateau, la naissance de la petite et le fait que je ne la verrais que trés peut, la visite trop rapide à mes proches et mes amis, me renvoient aux questions essentielles, sans pour autant y apporter la moindre réponse.




Celui qui hésite à prendre la mer pour un temps indéfini se pose tout type d’interrogations futiles qui ne servent en fait qu’à justifier le report de son départ. Elles sont d’ordre financier, comment vais-je pouvoir continuer à payer mon abonnement à Libé sans aucune source de revenus, pratique, comment me nourrir dans ces pays ou on ne trouve ni camembert ni sandwiches pâté-cornichon, existentiels, comment ma femme va-t-elle appeler sa mère chaque fin de semaine une fois au milieu de l’atlantique, métaphysiques, vais-je pouvoir communiquer ma passion du sushi aux dauphins qui m’entourent, alors que la seule questions qui reste sans réponse une fois les amarres larguées est : « Mais putain, qu’est ce que je fous là ? ».


Je m’assois sur le rebord du temps et regarde y défiler mes proches, la belle Lola, l’espiègle Nina, le bonheur de leurs parents, le plaisir de Mathilde entourée de sa joyeuse bande de nains au nez coulants, l’apparente simplicité d’un choix de vie apparemment classique dans un monde apparemment fait pour eux.

Je reste immobile à contempler l’interminable balancement du métronome de mes désirs, le paradoxe d’une liberté si contraignante. Pour compliquer le tout se glisse dans l’équation celle qui ferait que lorsque tout va bien tout pourrait encore aller mieux.






Alors survient la seule question, qu’est ce que je fous là, sur un bateau dans le Rio de La Plata, trop loin pour faire demi tour, trop prés pour renoncer. Je ne suis pas parti pour découvrir d’autres lieux et d’autres gens, pour l’expérience et la richesse des rencontres, voilà plus de quinze ans que je sillonnais la planète avant de prendre le large sur « Chionis », le départ est une fuite, il me faut trouver un sens nouveau, une raison de continuer.







Retour sur Buenos-Aires pourtant, joie de retrouver mon petit voilier, plaisir de le partager avec deux équipiers rapportés
 dans mes bagages. Certes, leur expérience de la navigation hauturière s’apparente assez à celle de Bertrand Cantat quand à la gestion des conflits de couple, c’est pas vraiment leur truc.
 Gilles est un infirmier cycliste-escaladeur-skieur et Catherine employée modèle adepte des réunions du Codir (comités de direction, peuh, vous le saviez pas ?), pas tout à fait Tabarly et Autissier donc, en même temps « Chionis » n’est pas tout à fait « Pen Duick », ça devrait équilibrer.



En guise de mise en jambe l’anniversaire bien arrosé de Gilles, un weekend asado avec les copains du « Vent de folie », une folle soirée tango-pizza au club nautique, bienvenue à bord…





J’ai quitté sans regret la mégapole argentine, ses 14 millions d’âmes en peine, son parc automobile hors d’âge crachant des tonnes de monoxyde de carbone, pour retourner en Uruguay, validant ainsi la sortie du territoire argentin et regagner 8 mois pleins pour y revenir circuler légalement à bord de « Chionis ».





Le petit rio Riachuelo nous a reçu le temps d’un pampero qui a couché le bateau au mouillage, plié l’antenne VHF et la girouette, envasé le safran et le Sail-drive empêchant tout mouvement au moteur, le tout sous une tempête de grêle. Heureusement il nous a aussi accueilli le temps d’une belle soirée avec l’ami Jean-René, 23 ans de vie a bord de Ngoc et toujours cette joie intacte et presque puérile à l’idée de continuer son errance océane, et aussi le temps d’une virée pédestre dans l’antique Colonia en passant par les étendue peuplées de cris d’oiseaux des haciendas environnantes.






Retour à la réalité brutal, La Plata, ancien poumon économique du pays ou transitait toute la viande bovine destinée à l’exportation.
L’Angleterre se tourne vers le Commonwealth pour approvisionner sa population en T-bones, la France multiplie les pays fournisseurs, la crise internationale du bœuf achève d’étouffer le site. Schéma trop bien connu car tant répété, fermeture des usines d’équarrissage, des hangars frigorifiques de stockage, abandon total de la zone, fuite des capitaux et seule reste une population privée de travail, de revenus et de perspective d’avenir.




Le soleil du jour couvre d’une chaleur trompeuse les quartiers ouvriers crasseux, explosion de la délinquance, carcasses de voitures et mômes shootant dans des ballons crevés pour seul horizon au travers des vitres sales des maisonnettes aux murs lézardés trop vite construites.







































Un havre de paix et de verdure, si anachronique dans ce paysage, nous entoure pourtant, le Club De Regatas La Plata offre 15 jours de gratuité aux quelques navires de passage, cours de tennis, salle de ping-pong, eau chaude à tous les étages, ou comment il peut parfois être gênant de profiter de ses privilèges d’européen croulant sous la suffisance et l’inutile au milieu de crèves la faim abandonnés par un gouvernement trop occupé à masquer une corruption si flagrante.







« Chionis » va quitter son élément le temps d’un carénage, une belle anode toute neuve va cercler le Sail-drive, et nous mettrons cap sur Mar Del Plata ou Necochéa selon l’ouverture météorologique.

Allez, je ne résiste pas au plaisir de vous en mettre une petite dernière, elle est trop non ?
Pour info, ma nièce c'est la plus petite des trois...

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D
<br /> Tu fuis<br /> Je fuis<br /> Nous fuyons ceux qui veulent que l'on reste<br /> Ceux qui se vendent comme on demande l'aumône<br /> Et qui ne voient jamais les matins calmes des mers<br /> Fuyons plus loin encore<br /> Là où nul ne se regarde dans le reflet d'un écran plasma<br /> Là où on se rencontrera et où tout reste à découvrir<br /> <br /> <br />
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P
<br /> Belles photos, blog sympa ... l'anniversaire de mon beauf a l'air d'avoir été cool ...<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Gilles dans le blog de Fab, c'est dingue ça!<br /> Vous êtes beaux les gars et Chionis encore plus !<br /> Bon vent!<br /> <br /> <br />
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