Un monde en boîte

Publié le par Fab

 

« Chionis » se fraie un passage entre les épaves qui jonchent le fond du port  Casablanca, vers un mouillage peu commun, loin des plages blanches et des calanques boisées, entre containers et cargos, ferries et camions, au beau milieu d’un monde hyperactif, d’un mouvement perpétuel auquel il ne participe pas, d’une cacophonie ou se mêlent les décibels des klaxons, les grues, les cris humains, les moteurs divers, les machines outils. En plein cœur du plus gros port de commerce marocain, mon petit voilier est poussière. Tout autour dans un incessant vacarme, les travels-lift, sorte de grues mobiles, constituent

un ballet orchestré par le flux des containers qu’ils déplacent, des vas et vient de truck chargeant les précieuses boîtes métalliques, ces boîtes étant la base de l’économie mondiale. La majeure partie des échanges internationaux se font via ces cubes d’acier, symbole d’une mondialisation galopante, de la course effrénée qui conduit un produit fabriqué sur un continent à son consommateur sur un autre. Je passe des heures à errer, fasciné, dans ce port immense, ville dans la ville, m’arrête et m’assois devant ce monde qui va si vite.

Pendant ce temps là, Mohammed fait du jet ski.




Rabah, capitale du royaume, ses murailles antiques, sa médina grouillante de vie, sa casbah fortifiée, ses quartiers d’affaire bordé par la nouvelle marina inaugurée ce printemps, son bidonville, décharge a ciel ouvert. Un projet grandiose se développe autour de la marina, centre commercial et de loisir, symbole d’ouverture et de modernité. Le décalage est irréel entre ces installations coûteuses, ceintes de murailles de béton balayées par des caméras et ces quartiers populaires ou des mômes jouent dans une boue puante avec un ballon crevé.

Et Mohammed fait du jet ski.








Toujours plus au sud « Chionis »est a couple d’un antique chalutier rouillé dans le port de Safi. Des enfants courent entre les voitures sur un axe fréquenté quémander quelques dinars, la monnaie locale, des vieillards tendent la main agenouillés sur les trottoirs défoncés de la nouvelle ville, des mutilés divers errent de poubelle en poubelle dans l’ancien quartier des potiers, haut lieu du tourisme et fierté locale.

Mohammed fait toujours du jet ski.








Dernière étape dans ce pays attachant, Essaouira, temple du surf et du tourisme de masse. Nous écourterons cette escale, trop de bus climatisés, trop de pseudos guides, trop de camping cars dans les parkings, des prix doublés, trop de contacts intéressés dans un pays ou nous sommes habitués à des rencontres spontanées. Je ne veux pas m’attarder dans cette bourgade artificielle, pourtant merveille d’architecture. Je garde du Maroc ces mains tendues, les sourires francs, les conversations aux terrasses avec les clients en siro

tant le thé à la menthe, cette amabilité contagieuse des habitants, mais aussi l’image de ces enfants qui mendient pendant que Mohammed se pavane sur son jet ski.





Mohammed VI est le fils d’Hassan II, petit fils de Mohammed V, troisième roi depuis l’indépendance obtenue en 1956, il accède au trône après la mort de son père en 1999. Il se veut un souverain moderne, collectionneur de belles et puissantes voitures, grand amateur de jet ski, yachts et autre engins flottants motorisés. De nombreuses photos d’un roi dynamique fendant les flots sur ses motos des mers fleurissent dans les magazines. Sa volonté affichée d’ouverture, d’équité, de rénovation d’un système féodal désuet a ses limites. Un jeune homme a été récemment condamné à un an de prison ferme pour avoir osé critiquer une des royales décisions sur son blog, des journalistes sont régulièrement condamnés à de fortes amendes pour des articles peu élogieux à son égard. Il y a quelque

chose, ou quelqu’un, de pourri au royaume du Maroc…










 

Une belle traversée vent portant, constant et soutenu, sous régulateur d’allure nous mène sur l’île de Graciosa, la bien nommée. Ce régulateur est probablement la création la plus utile à l'humatité depuis l’invention du roto-fil à couper le beurre, il barre parfaitement, à toutes les allures, sans aucune énergie autre que celle du vent qui appuie la partie aérienne de l’appareil.

Cette île canarienne est une perle de six kilomètres sur trois, qui m’a enchanté, envouté, charmé, happé. Graciosa est toute en courbes, en rondeurs harmonieuses, pas de falaises ou d’angles saillants, les volcans éteints sont en pente douce, les couleurs embrassent toute la gamme comprise entre le jaune d’or et le rouge carmin. Les flancs des monts sont tatoués d’étranges arabesques, sortes de « tribal » maoris naturels. Pas de route, pas de ville, pas d’agitation, juste un village somnolent qui entoure un port ou nous avons passé une nuit avant de rejoindre le mouillage paradisiaque de la playa francesca, au pied d’un petit volcan rouge sang face à une plage de sable blond. Le maître du port me laisse sans voix lorsqu’il me déclare « je ne vais quand même pas te faire payer pour une seule nuit, garde ton argent et bon vent à toi ! ».


 

Florian nous a rejoint et nous voilà trois à bord, ce qui signifie des nuits de quatre heures consécutives, sauf problème majeur, et un équipage bien content d’être ou il est, joyeux et volontaire sur un bateau équilibré, robuste et confortable. Un arrêt technique à las Palmas, sur l’île de Gran Canaria, permet de vérifier le gréement, bricoler le démarreur capricieux, assurer un solide ravitaillement au supermarché du coin, copier des cartes empruntées aux bateaux voisins.


 


 


 

Le bateau et équipage sont prêt à rallier Dakar, entre huit et dix jours de mer, Noel au large des côtes mauritaniennes, nouvel an dans la capitale sénégalaise si tout va bien. Bonnes fêtes à tous, et à l’année prochaine !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

           
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J
Salut m'sieur Fab,<br /> <br /> Merci beaucoup pour toutes ces impressions. Tu deviens de plus en plus écrivain, dis-donc. On reconnaît à peine le m'sieur Fab derrière ces mots joliment arrangés.<br /> Et bien bon vent, Joyeux Noël et bonne année.<br /> <br /> Et à tantôt.
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