Un "Chionis" chez les pélicans

Publié le par Fab

La navigation côtière nocturne au Sénégal réserve bien des surprises. « Chionis » a appareillé de Dakar pour gagner le fleuve Saloum, 60 miles au sud, appareillage de nuit imposé par le nécessité de se présenter devant la passe qui balise l’entrée de la rivière de jour et à marée haute. Entre les feux et balises non éclairés sensés guider les navires de commerce vers l’immense port de la capitale, des cargos abandonnés au mouillage sans signalement lumineux, les filets de pêche tendus ça et là, les pirogues de ces mêmes pêcheurs invisibles au ras de l’eau, la nuit fut courte et parfois stressante, un bruit sourd sur la carène m’ayant fait bondir a l’avant pour ne rien constater d’anormal, je m’en tire finalement a bon compte. J'évacue par dessus bord le trop plein d'une vessie compressée par tant de tension nerveuse... Quelle joie de quitter la capitale grouillante de monde et de véhicules, étouffante de chaleur ou il flotte en permanence un air nauséabond, conséquence des égouts à ciel ouvert et de l’absence d’un système de collecte d’ordures hors de quelques grands axes.





Le Saloum offre un tableau bien différent, «Chionis » est le seul voilier présent sur son cours en cette période, et les rencontres seront nombreuses au fil des courtes étapes, quelques miles quotidiens pour quitter à regrets ce mouillage enchanteur, regrets bien vite balayés à la vue du bolong suivant semblant toujours plus accueillant. Un bolong est un bras de rivière qui s’enfonce dans la mangrove, son accès est souvent difficile car non cartographié, au sondeur, vitesse réduite mais sans risque majeur car les fond sont d’une vase souple et il est aisé de s’en dégager.





Je garde du Saloum la chaleur et l’amitié sincère des habitants, ces contacts motivés par la curiosité et le partage. Merci a toi Gallo qui m’a longuement conté ta vie de pêcheur de crevettes au Sénégal, et écouté ma vie de fuite, merci pour ces échanges si simples et si riches entre ta maison et mon bord. Comme souvent ici tout a commencé par un signe alors que j’errais rêveur dans cette rue poussiéreuse de Foundioune, signe qui invite à partager le repas, un plat de riz au centre d’un cercle d’une quinzaine de personnes. Une dizaine de jours hors du temps, au rythme des marées et des ballades, des discussions autour d’un thé fumant. En guise de conclusion, un gérant d’hôtel met à notre disposition une douche et un accès à l’eau douce, bien précieux dans ces contrées, juste parce qu’il est sympa et aime le type de voileux que nous sommes.


Les 120 miles qui nous séparent de la Casamance sont vite avalés par un « Chionis » fougueux, propulsé par 20 nœuds de vent portant et constant. La Casamance est une région au sud de la Gambie, ce petit pays qui coupe le Sénégal en deux. Son histoire est jalonnée de revendications, parfois sanglante, indépendantistes, motivées par une richesse relative due à une terre moins aride que dans le reste du pays. La majeure partie du riz produit nationalement, aliment principal et souvent seul aliment consommé par la population, est cultivé autour de ce fleuve. Le tourisme y est aussi plus développé qu’ailleurs, il renaît petit à petit suite à un sérieux coup de frein donné à son essor par la rébellion violente des tribus locale contre le pouvoir de Dakar entre 1990 et 2000. La raison en était une expropriation systématique des terres appartenant aux agriculteurs vivant de leur travail, de riches bureaucrates proches du président achetant à bas prix des domaines pour les revendre à leurs utilisateurs, ou spéculer sur le fruit de leur labeur. La catastrophe du « Joola » en 2004 n’a pas aidé à la reconstruction, le ferry rouillé prenant l’eau de toutes part qui assurait la liaison Dakar-Ziguinchor deux fois par semaine a coulé à pic, entrainant dans ses entrailles d’acier 1863 personnes.

La région est superbe, alternant des paysages de mangrove humides, de savane sèche, de brousse haute et dense, de rizières découpées, la faune est exceptionnelle, véritable sanctuaire ornithologique, mais aussi refuge de reptiles divers, un des dernier repère de la planète pour le Lamentin ou le dauphin de rivière. Nous croiserons bon nombre de voiliers, contrastant avec l’isolement du Saloum. Je garde de la Casamance des soirées magnifiques au coin d’un feu de bois, buvant de l’eau de coco et du vin de palme, enfumant des huîtres de palétuviers pour les ouvrir sans efforts, savourant le poulet grillé tué a même la plage après une course mémorable dans les rues du village proche pour l’attraper. La valeur énergétique qu’apporte la consommation de cet animal est largement inférieure à celle dépensée pour le coincer… Nous restons loin des habitants trop souvent intéressé par les supposées fortunes du Toubab nanti.


Je profite de ces étendues infinies ou serpentent des pistes reliant les villages pour marcher tout mon saoul, profite des ces arbres immenses, de ces sons de la nature et des animaux, m’imprègne des odeurs de terres brulées au soleil, odeur d’après moisson dans les rizières. Mes sens s’emplissent de terre ferme et d’Afrique mais je suis déjà sur l’Atlantique.



« Chionis » semble impassible au milieu de cet étroit bolong, il en émane une force tranquille et il me dit « assure la veille, ménage mon gréement et prend soin de moi, je m’occuperais du reste et nous irons loin ». Je suis détendu et heureux en songeant a ces 2200 miles qui me séparent de la prochaine escale, Salvador De Bahia au Brésil, soit entre 20 et 25 jours de mer, ma première transat en temps que capitaine. Il ne me reste qu’une semaine tout au plus au Sénégal et je commence à me dire que je fais un beau voyage.
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
D
Re<br /> Le dornant a été totalement changé en même temps que les voiles. Regardes je t'ai laissé les factures correspondantes (facture VOILERIE PHOCEENNE)<br /> Ceci dit il est quant même important d'être vigilant et de procéder à un check précis avant ta traversée.<br /> @+<br /> Didier
Répondre
D
Bonjour Fabian<br /> Je te suis dans ton voyage<br /> Je suis heureux de voir que tu a trouvé cet équilibre très fragile...et que ce bateau y participe très grandement.<br /> Continue à alimenter ce blog<br /> Je te souhaite bon vent pour ta traversée<br /> Didier
Répondre
F
<br /> Salut Didier, merci pour tes encouragements!<br /> Une petite question concernant le gréement de "Chionis" le dormant date de quand??? As tu déjà changé le haubannage?<br /> Le bateau est toujours aussi performant, l'équipement au top,  tu as une belle part dans la réussite de mon voyage.<br /> Porte toi bien, qui sait, peut être un jour a une escale, tu es toujours bienvenu a bord.<br /> <br /> <br /> <br />